Brendan O'Brien & le Southern Tracks Recording



Le travail d'un producteur de nos jours, ne se résume pas à fournir de l'argent pour financer les enregistrements. C'est une personne qui "voit" avec l'artiste le disque à l'avance, et qui sait, contrairement à l'artiste, quel matériel utiliser, comment l'utiliser et comment mettre en place certaines parties (gérer des arrangements rythmiques, trouver un matériel particulier pour un son particulier...). C'est un ingénieur du son qui ne se contente plus de placer des micros et d'appuyer sur la touche "record". Il donne aussi son avis, participe au processus créatif et devient - presque - un membre à part entière du groupe.

Brendan O'Brien

"Et tout à coup, il y a eu ce nouveau type, il y a eu ce nouveau public. Des racines différentes, un peu plus jeune que nous. Il avait un langage qui ne s'inspirait pas seulement des références musicales dont nous nous inspirions. Mais voilà un type qui s'inspirait de... Il connaissait toutes nos références, cet endroit où je vole toutes mes choses, toutes mes influences, mais il avait aussi tout le reste. Il a amené avec lui ses nombreuses influences, différentes des miennes. Et ce qu'il a apporté, c'est vraiment un second souffle à nos enregistrements. Si vous n'avez plus d'idées, trouvez quelqu'un qui en a, vous savez. Trouvez quelqu'un et intégrez cette personne à votre vie créative. Et il savait tout simplement comment enregistrer le groupe d'une façon puissante, actuelle et de manière fidèle à son identité" (Bruce Springsteen, janvier 2009)

Avec Brendan O'Brien, c'était la première fois que Bruce Springsteen prenait un producteur hors de sa sphère professionnelle, et déjà connu pour d'autres types de profils artistiques, tels que Pearl Jam, Rage Against The Machine, Red Hot Chili Peppers...

Alors, pourquoi lui ? Jeune ingénieur du son né en 1960 à Atlanta, il a commencé à s'y faire un nom en tant que musicien (guitare, basse, claviers...) dans les années 1980, avant d'entamer une carrière d'ingénieur et de producteur, notamment avec les Black Crows.

Au sein du Southern Tracks Recording, un studio d'enregistrement acheté par Mike Clark et ouvert dans sa forme moderne en 1988, il a commencé à travailler sur ses propres projets dès 1989, et s'y est établit définitivement en 1993. Il avait entre-temps déjà acquis une excellente réputation comme producteur de rock américain alternatif sur la Côte Ouest.

À la mort de Mike Clark, Brendan O'Brien a continué à perpétuer l'œuvre de son mentor au sein du studio et l'a transformé en un lieu moderne de renommée mondiale.

Bruce Springsteen est venu visiter le studio en 2002 et a rapidement décidé de s'y installer pour gérer le retour du E Street Band sur de nouvelles compositions, avec un nouveau son. Producteur lui-même (il a produit la plupart de ses propres albums), la réputation de "sons modernes" que sort la console de O'Brien avec l'aide de matériel vintage, a certainement intrigué et séduit le chanteur.

Bruce Springsteen est un artiste qui a toujours su quelle direction il voulait prendre. Et rares sont les producteurs qui trahissent les artistes ou les déstabilisent intentionnellement. Le son des albums sous l'ère O'Brien est donc certainement un choix personnel de l'artiste lui-même. Il faut alors se méfier des critiques systématiques sur le travail de producteur de Brendan O'Brien (qui sait très bien faire sonner les guitares saturées et les batteries explosives...).

Brendan O'Brien possède également un sérieux atout en poche; il officie dans un studio, le Southern Tracks Recording, qui accueille de l'excellent matériel d'enregistrement.

Southern Tracks Recording

L'ancienne école d'ingénieurs du son, basée à Atlanta (GA) a été rachetée par Mike Clark qui, à partir de 1988, l'a fait évoluer en un studio d'enregistrement moderne, dessiné par George Augspurger.

Le studio d'enregistrement Southern Tracks Recording n'est pas immense. Il y a la régie, où se trouve la table de mixage (ou console), les préamplificateurs, les compresseurs et autres effets, ainsi que les différentes paires d'enceintes.

Une première salle de "prise de son général" assez grande (deux fois la régie) et deux autres salles plus petites, destinées à la batterie et aux claviers. Il y a également une autre toute petite salle (destinée à la prise de chant, de saxophone ou encore d'ampli guitare). La configuration est typique d'un studio d'enregistrement actuel.

La console

Sous l'influence de Mike Clark, le studio s'est doté d'une console de marque anglaise Solid State Logic, modèle G Plus, avec une automation de dernière génération (Ultimation). C'est à dire que les faders (potentiomètre rectiligne qui gère le niveau sonore de l'instrument dans le mixage) peuvent être pré-programmés: à la lecture d'un morceau, les faders bougent tout seul.

La console SSL étant connue pour avoir un son "droit" et "sec" au niveau des préamplificateurs (la partie de la chaîne audio qui donne de la puissance aux signaux en provenance des micros), comme beaucoup d'autres ingénieurs de son professionnels, Brendan O'Brien ne l'utilise qu'au moment du mixage, lorsque tous les signaux sont déjà enregistrés, en passant par des préamplificateurs de meilleure qualité.

Les égaliseurs

Le Southern Tracks Recording comprend d'excellents égaliseurs externes et en rack, de technologie à tube et à lampes. Ce sont des égaliseurs de marque Pultec des années 50/60, très rares et très chers, car ils ne sont plus fabriqués de nos jours. Ils permettent de booster et/ou de couper deux ou trois fréquences simultanément. Ils sont aussi connus pour avoir un "vrai" son à eux.

Les compresseurs

Afin de protéger les préamplificateurs d'un trop fort niveau sonore, on peut placer entre le micro et le préampli un compresseur. Il sert à mieux gérer le son en abaissant son niveau sans qu'il ne dépasse un certain seuil. Il existe des compresseurs au comportement doux qui n'écrasent pas le signal (catégorie "Soft Knee") et les compresseurs ayant besoin de se comporter comme des sauvages, niveau écrêtage (catégorie "Hard Knee") sur des sources ayant une possible plus grande différence de dynamique.

Compresseur Teletronix LA2A
Là aussi, les compresseurs forment un mélange de moderne et de vintage. On y trouve deux compresseurs à cellule photo-électrique (des Teletronix Urei LA2A) qui permettent d'ajouter cette petite présence dans les médiums sur une basse, mais surtout sur les voix. Le signal est envoyé dans une lampe et en face d'elle, une cellule photo-électrique laisse ou non passer le signal, selon l'intensité de luminosité qu'elle capte. Même avec les réglages à zéro, ce compresseur "colore" le son. Depuis sa création dans les années 60 par Bill Puttman, c'est LE compresseur des voix.

Compresseur Urei 1176
Le studio possède aussi des Urei Black Face 1176, de type vintage, très efficaces sur des signaux rapides comme la grosse caisse, la caisse claire et tout autre élément percussif. Le Southern Tracks Recording dispose de sept versions mono et de deux versions stéréo. Ces compresseurs colorent aussi le son, lui donnant un côté "massif", une assise "carrée", dont les batteries sont friandes. Quant aux Urei LA3A et LA4A, ils sont eux plus à l'aise sur les gros signaux souples, comme par exemple la basse ou certaines parties de saxophone. Plus petits et moins chers, ils sont tout aussi efficaces que leurs deux grands frères.

Compresseur Fairchild 670
Le premier trésor du studio est un compresseur Fairchild 670, un véritable mythe, fabriqué à très peu d'exemplaires dans le monde. Il s'agit d'un compresseur stéréo à lampes vintage, à technologie "Vary-Mu". Sa chaîne de traitement comprend 14 transformateurs (des composants électroniques pouvant fortement marquer le son qui le traverse) et 20 lampes, et il se loge dans un espace de six unités de rack. Il permet d'écrêter le signal avec une grosseur prévue à l'origine pour les premières radios américaines (le signal devait être grossi avant toute émission hertzienne). Cette technologie a aussi été utilisée pour établir les "masters" des disques vinyls. Pesant 40 kilos, ce matériel se négocie aujourd'hui autour de $30.000 d'occasion.

Les micros

Micro Neumann M50
Le second trésor du studio est la collection de micros vintage amassés par Mike Clark au cours des années. On y trouve des Neumann (de marque allemande), modèles M50, U47 ou M250, introuvables aujourd'hui et sans prix. Il y a également des AKG (toujours de marque allemande), modèle à lampe, tel que le C12, et qui procure une grosse et belle voix, dure et sombre (cf. la voix de Life Itself). Des micros RCA font aussi partie de la collection, des prototypes de micros vintage, tous plus rares les uns que les autres, mais encore en activité, délivrant une chaleur et un grain très particulier, propre à chacun.

Micro AKG D45, D30, D25

Micro RCA 77DX



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