BBC, 25 février 1996

Renaissance aux U.S.A.



par Trevor Dann (diffusé sur BBC - Radio 1, le 25 février 1996)

"Nous avons appelé cette émission "Renaissance aux USA" pour célébrer l’arrivée, cette semaine en Grande-Bretagne, du nouveau Bruce Springsteen, seul et en acoustique. Il est ici pour faire la promotion de son nouvel album solo, The Ghost Of Tom Joad. Et pour prouver combien il a changé, voici à quoi ressemblait Darkness On The Edge Of Town il y a 15 ans".

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--- Darkness On The Edge Of Town (Live 1975 - ’85) ---

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"Maintenant, avançons rapidement jusqu’en 1996 et voici la même chanson. Imaginez un mélange de Bob Dylan sous speed, Billy Bragg et Billy Connelly, et vous ne serez pas loin du nouveau Bruce Springsteen. Juste après cette chanson, le Boss parle en exclusivité sur Radio 1".

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--- Darkness On The Edge Of Town (Live '95) ---

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Et bien, pour paraphraser une des grandes citations de l’histoire du rock & roll, je pense que j’ai vu l'avenir de la musique folk et son nom est Bruce Springsteen ! (rires). Ce qui m’a vraiment surpris en voyant le spectacle, en ayant entendu The Ghost Of Tom Joad, c’est que je pensais voir quelque chose de plutôt lugubre et mélancolique, et je ne vous ai jamais vu aussi drôle, ni vous amuser autant !

Oh, oui ! Il y a de l’humour dans le spectacle, vous savez… surtout entre les chansons, j’imagine (rires).

Est-ce que d’être là, seul, et, d'une certaine façon, sans être encombré par la logistique d'un gros concert rock & roll vous plaît ?

Oui, c’est très différent. C’est un tel projet de faire une tournée rock par ici, ça implique tant de personnes… Quand vous êtes là tout seul - en fait il y a moi, et il y a peut-être cinq autres personnes et nous avons quelqu’un qui s’occupe du son et des lumières. Et on peut aller n’importe où, là où il y a une salle de 1000 places, jouer dans n’importe quelle ville. On peut aller dans des endroits qui sortent des sentiers battus, nous ne sommes pas tenus d'emprunter le circuit habituel. C’est donc vraiment libérateur, c’est léger, et d’une certaine manière, ce que nous faisons nous permet de revenir à l’essentiel. C’est plutôt satisfaisant.

Est-ce que ce n'est pas, dans un certain sens, une réaction à votre célébrité, et au fait d'avoir ce tel degré de notoriété et de célébrité et d'argent, que d'une certaine façon, on vous a imposé ? Est-ce que c'est une réaction vis-à-vis de la façon dont cela vous affecte en tant qu’être humain ?

Oh, je ne sais pas. J’y ai déjà probablement réagi, c’est donc une réaction contre la réaction, je ne suis pas sûr (rires). A ce stade de ma carrière, c'était simplement la musique que je voulais faire. J’ai passé environ dix ans à écrire de la musique intimiste - même si ce n’est pas la façon de la décrire - de la musique sur d’autres thèmes. Cette partie de ma vie s’est véritablement consolidée et j’ai retrouvé mon chemin vers les thèmes sur lesquels j’ai écrit durant la plus grande partie de ma vie artistique. D’une certaine façon, il s’agit d’une sorte de recadrage, en élargissant le travail que j’ai accompli par le passé. Si vous prenez, que ce soit l’album Nebraska ou des morceaux de l’album The River, je suppose que c’est véritablement une extension de ces thèmes-là et de ce travail, qui s'inscrit dans la tradition du travail de beaucoup d’autres personnes, que ce soit l’art-folk de Woody Guthrie ou l’écriture de Steinbeck. Ce travail reprend certains de ces thèmes et les transporte dans les années 90. Mon unique intention était de faire la musique que je voulais faire, et je voulais faire un disque dans lequel je n’avais aucune règle à respecter.

Je ne me souciais pas de savoir s’il allait être un succès, s’il allait bien se vendre, ou si j’avais cette chanson-ci ou cette chanson-là. Je suis arrivé à un point où j'estimais que ce n’était pas si important pour moi, à ce stade-là de ma carrière, faire un disque que les gens considéraient comme important, à succès ou un disque qui se vende à de nombreux exemplaires… J’ai réalisé que ce n’était pas ça qui vous fait avancer, fondamentalement. Je pense que si vous tombez dans ce piège, alors vous êtes un cheval de course, vous comprenez ? Et ici aux États-Unis, beaucoup de journaux spécialisés dans le show-bizz parlent de cette course. Alors, ce qui est important pour moi, c’est de sentir que mon travail reflète l’actualité, qu’il soit vital et en phase avec le monde d’aujourd’hui. Et que lorsque je monte sur scène, je n’ai pas besoin de jouer à être moi-même, je peux être moi-même.

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--- The Ghost Of Tom Joad ---

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Le spectacle est un spectacle très tranquille, et il exige beaucoup de collaboration avec le public. Le public doit être très calme, pas simplement pour la tranquillité, mais ils doivent être calmes car les personnages sont calmes.

Vous leur dites au début, "Vous devez vous taire…".

Oui, en fait, les gens, les hommes et les femmes dans ces chansons... le calme fait partie de ce qu’ils sont. Il fait partie de la manière dont ils communiquent. Le silence représente une grande partie de la façon dont ils parlent. Alors le silence, ce n’est pas juste "Taisez-vous, je joue", c’est parce que dans ce silence, il y a le personnage. Et s’il y a bien une chose que je fais à ce stade de ma carrière, c’est suivre un personnage: les mystères du personnage, et ce qu’il crée ou ce qui fait qu'un être humain vit et respire. Et j’essaie de donner vie à ces gens, le soir, sur scène. Et pour y parvenir, ils ont besoin de ce calme pour y vivre, parce que ça fait partie de ce qu’ils sont. C’est donc une grande partie de l’esthétisme du spectacle. J'ai eu, jusqu'à présent, des publics formidables aux États-Unis, des publics qui m’ont vraiment donné cette forme de calme, et qui me permet de leur donner le meilleur de moi-même. C’est vraiment essentiel dans la manière dont le spectacle progresse, ça marche vraiment bien.

Alors pour moi, cette tournée repose sur la présence. Elle repose sur le nouvel album. Je joue le nouveau disque quasiment dans son intégralité. Et puis je joue des choses que j’ai réarrangées et réactualisées qui vont bien avec ce ton particulier. Ce n’est pas un concert acoustique, je ne suis pas sur scène pour jouer en acoustique ce que les gens perçoivent comme mes plus grands succès. Il ne s’agit pas de ça, vous comprenez ? C’est en quelque sorte thématique et plutôt cinématographique et le concert est organisé autour de mes thèmes et des choses du moment.

L’album The Ghost Of Tom Joad est une suite de tableaux, une suite de nouvelles. Elles ont toutes, comme vous le dites, des personnages que vous créez d’une manière très théâtrale et dramatique. Tous ces personnages sont des gens qui rencontrent des problèmes, ils en résolvent certains et d’autres non, au sein de la société américaine. La plupart d’entre eux ne se font plus beaucoup d’illusions, ou du moins, ils ne sont pas satisfaits de leur sort. Ces situations reflètent-t-elles la manière dont vous regardez l’Amérique aujourd’hui ?

Je n’écris pas vraiment avec une perspective d’ensemble. Je ne commence pas de l’extérieur. Je ne m’installe pas en me disant, 'Ici, j’ai un message à délivrer' ou en me disant que j'ai quelque chose dont je dois parler: l’état du pays ou autre chose. Je ne travaille pas vraiment comme ça au jour d'aujourd'hui. Je l’ai déjà dit, mais je ne crois pas qu’on puisse dire quoi que ce soit aux gens: il faut leur montrer quelque chose. Et la manière de leur montrer les choses, c’est de capturer dans votre musique des nuances de la vie et de l’existence aussi réelles que possible. Je crois que The Ghost Of Tom Joad - que j’avais d’abord écrit en pensant au E Street Band parce que je travaillais avec le groupe à l’époque - a commencé comme une chanson rock. Mais je ne regardais pas vers l’extérieur, 'Où est-ce situé dans le monde ?' ou 'Où est-ce situé dans ce pays ?', mais c’était simplement une conversation que j’avais avec moi-même. J’essayais de comprendre, 'Où est-ce situé en moi ?'. La chanson a donc grandi à partir d’une conversation intérieure que j’avais. Et puis le reste de l’album a commencé à suivre le même exemple. A cause du début, cette chanson venant en premier, il y a une forme de contexte social dans lequel les autres chansons s’intègrent. Et puis, vous vous plongez dedans, vous vous plongez dans ces vies, vous voyez ?

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--- Sinaloa Cowboys (Live) ---

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Il serait approprié d'avoir cette conversation au Texas, car beaucoup des personnages sur cet album sont du Sud-Ouest, ils sont originaires de la frontière mexicaine – la frontière entre le Mexique et la Californie. Et vous avez aussi parlé de Galveston Bay. Vous semblez plus intéressé par les problèmes là-bas que par les thèmes traditionnels sur les cols bleus dans l’Est dont vous avez parlé par le passé.

Dans un premier temps, j’ai beaucoup écrit sur ces choses-là. Et puis, j’habite dans l’Ouest. J’y suis venu en 1975 et dès ma descente de l’avion en Arizona, j’ai de suite beaucoup aimé. Et j’y retourne très souvent entre les tournées, et j’y reste un moment. J’ai beaucoup voyagé à travers le sud-ouest, jusqu’en Arizona et la Californie du sud, une bonne partie du centre de la Californie. C'est simplement une géographie qui m’a toujours interpellé, d’une certaine manière. J’adore la chaleur, j’adore vraiment la chaleur qu’il y a - les paysages plats, les grands espaces… J’ai une moto et je fais beaucoup de route, mes amis et moi faisons d’assez longs voyages parfois. C’est simplement une région intéressante et dramatique.

Beaucoup de chansons appartiennent presque à ces clichés du Texas avec des paysages plats…

Oh oui ! C’est également associé en grande partie à un genre d’auteurs. Je crois que j'ai passé là-bas une grande partie de mon temps. Vous savez, à Los Angeles, aux informations, on parle beaucoup de la frontière et du choc des cultures, et de ce qui se passe dans la Central Valley, des choses très similaires à ce qui s'est passé dans les années 30. Une fois que j’ai eu retrouvé mon chemin vers ces choses-là - comme ce qui s’est passé grâce à une rencontre fortuite avec ce gars dans une ville d’Arizona, dont je parle dans mon spectacle - alors j’ai en quelque sorte trouvé un moyen d’écrire sur ce sujet. J’ai ensuite écrit trois ou quatre chansons, plus en fait, car j’ai écrit cette chanson Brothers Under The Bridges, dont l'action se situe dans les montagnes Saint Gabriel à la sortie de Los Angeles. C’est un endroit du pays très intéressant, très fort. Rien qu'un immense choc des cultures, avec des gens qui se battent sur ce à quoi l’Amérique ressemblera et ce qu’elle sera à l'avenir. C’est donc un endroit assez fort.

Pendant le spectacle, vous parlez beaucoup de vos enfants. Et ce, en tant qu’homme d’âge mûr avec des enfants, qui s’adresse à un autre: quelle influence le fait d’être en contact avec la nouvelle génération a-t-il sur ce que vous faites ?

J’en parle dans le but d’établir une connexion avec les enfants de la chanson de Balboa Park - des enfants perdus. Et pour dire, "Hey, ces enfants ne sont pas simplement des enfants perdus, ce sont vos enfants. Et si vous ressentez quelque chose pour vos enfants, il existe un avenir tangible et physique juste ici, devant vous". Je pense qu'une fois que vous arrivez à cet âge-là où vous avez des enfants… Vous savez, tant de gens passent une grande partie de leur vie à attendre de devenir quelque chose, à attendre que quelque chose arrive, du genre, 'Dès que ceci arrivera et dès que cela arrivera, alors je vais faire et alors je serai'... J’ai 46 ans et j’ai trois enfants et je suis à un stade de ma vie où le temps d’attendre est passé. On ne peut pas attendre d’être ce que l’on veut être, c’est le moment d’être ce que l’on veut être. Et les enfants vous le rappellent, parce qu’ils vous observent, tous les jours. Tout ce que vous faites, ils le font. Vous prenez davantage conscience de ça. Aujourd'hui, mon aîné a presque six ans et il observe la manière dont je vois le monde, quelles sont les connections que nous établissons avec lui et avec les gens que nous connaissons et avec la communauté dans laquelle nous vivons. Il essaie de comprendre qui il est. Mais ils font tous ça. Cela vous rend donc un peu plus prudent. C’est le moment où il faut essayer d’être plutôt cohérent ! (rires)

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--- Balboa Park ---

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Parlez-moi de la manière dont vous voyez le reste de la musique pop à l’heure actuelle. Est-ce qu’elle vous passe complètement à côté, parce que dans un sens vous vous en êtes affranchi, ou vous l’avez dépassée, ou bien vous vous tenez au courant de ce que fait Oasis ou Blur, ou du dernier succès des hit-parades ?

A ce stade de ma carrière, je n’essaie pas vraiment de faire ça. J’ai une œuvre importante derrière moi et elle me fait prendre une certaine direction. Je suis dans ce processus-là. En fait, je sors et achète beaucoup par curiosité. Si je lis une bonne critique ou autre, ou si j’entends quelque chose à la radio, j’irai acheter. Et puis, j’écoute beaucoup de disques et je vois ce que j’aime. Ainsi de temps en temps, je m’expose à beaucoup de différentes sortes de musiques.

Mais, la majeure partie de mon travail a été probablement plus influencée par des films et des livres, quasiment depuis les années 1970. D’une certaine façon, je suis plutôt revenu en arrière, dans la mesure où ce spectacle est probablement plus influencé par le folk-blues, des artistes de folk et des artistes de blues plus anciens. Mon travail est plus dans cette tradition particulière, musicalement parlant, je pense. Sa sensibilité est moderne mais le langage qu’il utilise remonte plus au folk et au blues.

Puis-je vous poser une question sur Woody Guthrie ? Il a une influence évidente sur tout ça, et vous avez enregistré des chansons de Woody Guthrie dans le passé. Il a écrit une chanson qui s’appelle Tom Joad sur ses Dustbowl Ballads; votre nouvel album s'appelle The Ghost Of Tom Joad et les personnages sont tirés de The Grapes Of Wrath. Woody Guthrie, tout le monde le sait, a beaucoup influencé Dylan. Vous a-t-il influencé directement ou êtes-vous arrivé jusqu’à lui par l’intermédiaire de Dylan ?

Oh, c’est sûr que je suis arrivé à lui par l’intermédiaire de Dylan. Je n’ai probablement pas écouté Woody Guthrie avant 29 ou 30 ans. Je n’en étais pas si conscient. Et puis je suis revenu en arrière et j’ai écouté toutes ses chansons. Mais en fait, c’est remonté jusqu'à moi. Je pense que les thèmes que j'abordais avaient été puisés dans d’autres musiques rock, disons comme chez les Animals, chez qui on retrouve le thème de la classe ouvrière dans l’ensemble de leur œuvre. Et c’est probablement de cette façon que ces thèmes se sont retrouvés dans mes chansons, d’une certaine manière. Simplement à travers le rock & roll de la classe ouvrière. Mais ensuite, je l’ai un peu élargi. Vous savez, j’ai lu, j’ai vu des films… mais pas avant 29 ou 30 ans. Et là, je suis retourné vers de la grande musique country et de la musique folk, des trucs d’Hank Williams, de la musique gospel, toutes sortes de musiques traditionnelles américaines qui me nourrissaient et qui me parlaient, pour une raison ou une autre. Et puis des auteurs de nouvelles: James M. Cain, Jim Thompson, Flannery O’Connor. E puis des films aussi: des films noirs américains, et des trucs anciens - des choses qui ont semblé avoir beaucoup d'impact sur mon travail - et les films de John Ford. Ce sont les choses qui ont probablement représenté les premières influences essentielles sur mon travail dès que j’ai eu 30 ans. Je garde toujours une oreille sur ce qui se passe dans la musique pop. C’est intéressant et on y trouve beaucoup de bonne musique. Mais je suis un chemin particulier et différent en ce moment, vous comprenez ?

Il n’y a pas beaucoup d’albums qui vous donnent une liste de lectures dans leur livret, et sur The Ghost Of Tom Joad, il y a une liste de quelques livres et films qui vous ont influencé. Je suppose que vous les y avez mis parce que vous aimeriez que nous trouvions ces livres et les suivions, comme vous l’avez fait.

Et bien, ils avaient un rapport avec l’album d’une certaine manière. Ce livre Journey To Nowhere, il s’est vendu, je crois, à 15 000 exemplaires aux États-Unis à sa sortie. Mais il est sorti au milieu des années 80, quand il n’y avait pas beaucoup d’écho pour ce genre d'ouvrage. Fondamentalement, c’était un livre dans lequel deux journalistes prenaient des trains de marchandises depuis St Louis, je crois, jusqu’en Oregon. Et ils ont fait le récit de ce qu’ils ont vu en chemin. C’est simplement un livre très fort sur le fait que certains Américains ne se sentent plus concernés par les élections et sur les gens qui n’avaient plus vraiment leur mot à dire dans les années 80, et pour ce dernier aspect dans les années 90, également. Le débat politique actuel aux États-Unis ne les prend pas du tout en compte.

Pouvez-vous me parler de l’histoire de Youngstown ? Car ce titre vient de ce livre, n’est-ce pas ?

J’ai lu ce livre, et j'ai trouvé cette histoire simplement poignante. Si vous allez à Youngstown, vous verrez une ville véritablement en déclin. Ce qui me relie à ça, ce sont probablement mes propres enfants et mon propre travail. Cette idée que l’on vous dise, après presque 30 ans, que ce que vous faites ne sert plus à rien, ou n’a plus sa place, ou que le monde a changé, et que c’est ainsi. Et vous avez 50 ans et vous devez trouver autre chose à faire. C’est presque impossible. Je ne sais pas ce que je ferais dans cette situation. Alors, c’est probablement la suite de certaines des choses sur lesquelles j’ai écrit plus jeune dans mon travail. Comme si ça découlait directement de The River ou autre.

Vous devez comprendre, ces aciéries ont été fermées à la fin des années 70 - je crois qu’elles ont commencé à fermer en 1977 et que la dernière a dû fermer en 83 ou 84. Et des milliers et des milliers d’emplois ont disparu, des milliers et des milliers. Et tous ces gens qui avaient vécu là toute leur vie, dont les grands-pères avaient travaillé là, ils ont travaillé là 24h/24, pendant des années. Alors, quand j’ai joué à Youngstown, il y avait des gens qui avaient tous des frères, des pères, des grands-pères qui en avaient fait l'expérience. C’était très intense. Mais on n’en entend plus beaucoup parler, aujourd'hui. En fait, je pense que la ville a perdu les 2/3 de sa population. Les gens qui sont partis se sont retrouvés ici, les gens se sont dirigés vers le sud-ouest, ou ont essayé de descendre à Houston pour travailler dans les champs pétrolifères. Les gens qui travaillaient dans les banques alimentaires au milieu des années 80 disaient qu’il y avait des personnes qui avaient travaillé leur vie entière et qui tout d’un coup se retrouvaient sur la route, vivant dans leur voiture. Des gens qui auparavant faisaient vivre leur famille, et avaient un emploi. En fait, l'histoire continue. Cette chanson-là est simplement une peinture de cette expérience.

Bruce, puis-je vous demander ce que c’est que d’être le "gourou" Bruce Springsteen, d’être l’objet de cette véritable forme de vénération anarchique ?

Un gourou ? (rires) Non, vous ne pouvez pas me le demander. Non, je plaisante. En fait, je ne sais pas, que voulez-vous ?

Très peu de gens dans la musique pop attirent, de la part des fans, cette forme d’intensité en matière d’idolâtrie.

Je n’en suis pas si sûr, je pense que beaucoup l’attirent, si vous regardez autour de vous. Tout le monde attire des gens raides dingues d’eux !

Avez-vous vu ce qui est écrit à votre sujet sur internet ?

Nooonn… non…

C’est fou ! C’est excessif. Ces gens sont complètement cinglés !

On ne peut pas essayer de tout maîtriser – c’est le boulot de quelqu’un d’autre. Fondamentalement, j’ai un public vraiment formidable qui s'est construit au fil des années, des gens pour qui j’ai investi beaucoup de temps, et ils ont investi beaucoup de temps en moi. Il y a toujours des fans, des fanatiques. Évidemment, il y a toujours une partie de ces personnes qui arrivent à un niveau que je ne considère pas comme une si bonne idée (rires). Mais en majorité, et particulièrement sur cette tournée, j’apprécie vraiment mon public. Parce que mon spectacle est exigeant vis-à-vis du public. Vous savez, ce silence, ce calme, est réellement nécessaire et soir après soir, les gens me l’ont vraiment apporté. J’ai le sentiment d’avoir un public formidable depuis des années, et si une partie d’entre eux est prise dans ce truc de fan, de fanatisme, et je pense qu’il y en a toujours... mais fondamentalement, si vous me demandez ce que je pense du public, je dirais que j’ai de très bonnes relations avec eux, tissées au fil des années. C’est un public qui me donne beaucoup de force. Cette tournée est probablement, pour moi, l’apogée d’un ensemble de choses et c’est très satisfaisant. Je ne sais pas, tous les petits détails font simplement partie du rock & roll, je suppose (rires).

Chaque mot que vous êtes en train de prononcer sera sur internet dans quelques minutes !

(Rires) Et ce sera vous qui les y mettrez ! (rires)

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--- Dark And Gloody Ground ---

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Et le Bruce Springsteen des stades ?

Oh, je ne sais pas. Toute ma vie, j’ai aimé jouer dans des groupes de rock et j’imagine que d’une certaine façon, je vais continuer à le faire. Mais pour le moment, je ne sais pas. En ce moment, je ne suis pas particulièrement proche de ma voix rock, et je pense que c’est en partie, ce qui m'a probablement amené dans cette direction. A l’heure actuelle, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup de choses sur lesquelles écrire et beaucoup de choses à dire dans ce contexte. Et j’ai le sentiment qu'en ce moment, je ne m’exprimerais pas autant avec le groupe. Je ne ressens pas le besoin de regarder aussi loin.

En ce moment, j’écris d’autres chansons et je suis vraiment heureux de faire ce genre de spectacle et heureux des endroits où je le fais et heureux de l’accueil que je reçois. Le disque a été vraiment bien reçu et j’en étais très satisfait. J’ai le sentiment d’avoir fait mon trou dans un endroit où je me sens vraiment très bien. J’ai le sentiment d’avoir quelque chose à faire, quelque chose que je peux bien faire et je peux être utile. C’est vraiment mon seul souci en ce moment et je vais le suivre quel que soit l'endroit où il m’amène. Je n’ai pas d’autres projets que celui-là.

Parlez-moi de votre chanson à la Forrest Gump que vous jouez à la fin du spectacle.

Oh ! C’est un mystère, c’est ce qui est amusant. C’est une chanson mystérieuse (rires). Un de mes amis m’a dit que c’était une chanson sur un homme qui voulait faire exploser le monde entier ! Et j’ai dit 'Oh, peut-être !'… Ce n’était pas une chanson qui fait spécifiquement allusion à ce film en particulier ou autre. Je l’ai écrite et je l’ai simplement trouvée amusante, vous voyez. Il y a un aspect assez sinistre… C’est ce qui lui donne - je ne sais pas comment vous voulez appeler ça - du poids ? (rires). Je n’en suis pas sûr. Cette chanson, c’est simplement un peu de mystère. C’est une chanson qui s’est juste envolée de ma tête.

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--- My Best Was Never Good Enough ---

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Une dernière chose, je sais que vous devez partir… A présent, vous jouez en acoustique quelques uns de vos anciens grands standards du rock, et je suppose que la décision la plus intéressante que vous ayez prise est de jouer Born In The U.S.A. en acoustique. Vous ne jouez le refrain qu’une seule fois, et il n’y a plus de malentendu maintenant: cette chanson n’est pas un hymne conservateur. C’est une chanson extrêmement critique sur l’Amérique, n’est-ce pas ?

Eh bien, c’est une occasion de me réapproprier cette partie de ma musique, vous comprenez ? J’ai toujours eu le sentiment que c’était une de mes meilleures chansons et à l’heure actuelle, l’arrangement que j’ai est probablement le meilleur que j’ai jamais eu. C’est ainsi qu’elle a trouvé sa place dans la liste des chansons et ainsi je l’ai rattachée. J’ai mis dans cette liste quelques trucs qui fonctionnent d’un point de vue thématique. Je pense que sa signification est probablement aussi claire que possible.

Merci pour votre temps. Nous attendons avec impatience de voir ces concerts en Grande-Bretagne.

Oui, j’ai hâte de venir.

Et félicitations pour votre meilleur disque depuis longtemps !


Merci ! Je pense que je dois le prendre pour un compliment (rires)

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--- Born In The U.S.A. ---

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Photographies Pam Springsteen & Joel Davies

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