Asbury Park Press, 21 octobre 2019

Bruce Springsteen parle de sa trilogie personnelle, de John Wayne et de Western Stars



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Bruce Springsteen est un fan de John Wayne.

Il en va ainsi après avoir écouté
Western Stars, son dernier album, et après avoir regardé le nouveau film éponyme de Springsteen. Il y a plusieurs références visuelles et verbales au Duke (1), à la fois dans le film et dans la chanson Western Stars.

Springsteen et moi-même avons récemment commencé une interview en parlant de John Wayne, puis nous avons exploré les autres sujets reliés et abordés par Western Stars. Springsteen, portant une chemise de couleur sombre, un jeans, avec des chaussures et une veste de sport, a été courtois, attentionné, l'esprit vif et le rire facile.

Il ne s'agissait pas de notre première interview tous les deux. Au cours des années, nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises autour d'Asbury Park, parlant en
on ou off des évènements du jour, ou d'un concert auquel il avait participé.

Cette fois-ci, assis dans le salon en sous-sol d'un hôtel de New York, il y a deux semaines, pour une interview de 45 minutes, Springsteen a eu une requête avant de commencer : Pourrions-nous éteindre la climatisation ? J'étais content qu'il le demande. J'étais inquiet que le bruit puisse le noyer sur les bandes de mon magnétophone.


Western Stars sort en salles le vendredi 25 octobre.

Chris Jordan I Asbury Park Press I USA Today

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Parlez-moi un peu de John Wayne ? Vous mentionnez John Wayne dans la chanson Western Stars, vous parlez de ce merveilleux plan dans l'encadrement de la porte (tiré du film The Searchers, dans Western Stars) (2), et puis, vous parlez d'un "pèlerin" à la fin. Le problème avec John Wayne, c'est que le rock'n'roll ne l'a jamais adopté depuis Buddy Holly.

Exactement, That’ll Be the Day. (3)

Racontez-moi ce que John Wayne signifie pour vous, et peut-être est-ce le moment pour John Wayne de se faire adopter un peu plus.

Je ne sais pas, il est comme imbriqué dans ma vie. En tant qu'enfant, si vous aviez grandi dans les années 50, John Wayne était une énorme star de Westerns, c'était la star des Westerns, le cow-boy civilisé pendant toutes ces années 50 et 60. Il est tombé en disgrâce à cause de ses opinions politiques ancrées à droite, mais les films qu'il a fait sont éternels. Magnifiques, tout simplement, et pour toujours, et son travail d'acteur dans ces films est, à mes yeux, une merveille. J'ai toujours été un grand fan, vous savez. J'ai toujours trouvé de la douceur et de la tendresse dans ses films, tout particulièrement dans She Wore a Yellow Ribbon (La Charge Héroïque, de John Ford, 1949).

Ce casting, que John Ford utilisait, rassemblait un ensemble de personnages fantastiques, une merveilleuse troupe d'acteurs, comme Ward Bond par exemple (5), une troupe qui travaillait si bien ensemble. C'était une part importante de mon bagage esthétique. Clint Eastwood, également, se trouvait à l'autre bout du spectre. Mais John Wayne, Henry Fonda, Gary Cooper - il s'agissait de figures imposantes pour moi, en tant qu'enfant.

Le thème du Western : que faites-vous lorsque vous partez vers l'Ouest ? Vous y allez pour devenir un homme, pour apprendre à tirer, pour apprendre à faire face à vos peurs. Mais vous y allez aussi pour trouver une terre, pour bâtir un avenir, pour vous et votre famille. Pour moi, ce sont ces éléments-là auxquels se réfère Western Stars, à moins que j'interprète trop ?

Non, cette dichotomie est bien présente. Elle fait partie de la vie, mais elle faisait certainement partie de la vie dans l'Ouest, aussi. Vous aviez deux types d'individus qui partaient là-bas. Il y avait ceux qui voulaient toujours voir au-delà de l'horizon - d'étranges solitaires - et puis vous aviez ces wagons remplis de ceux qui partaient fonder une société et construire des églises et des écoles et des communautés et des familles. L'Ouest représentait un foyer pour des américains de tous types, et ils ont amené cette dichotomie avec eux.

J'aime la façon dont vous ajoutez des éléments à ces personnages en marge du show-business. Vous avez le cascadeur de Drive Fast (The Stuntman), vous avez le personnage de Western Stars, vous avez l'auteur-compositeur de Nashville (Somewhere North of Nashville). Pour moi, l'empathie vient à manquer ces derniers temps. Vous êtes au sommet de votre profession, mais vous continuez à suivre ces traces.

Une nouvelle fois, il s'agissait là de personnages qui m'ont intéressés, et j'ai senti, à un moment donné, que je pouvais écrire sur eux. J'écris ces histoires sur l'Ouest depuis un petit moment. Si vous remontez jusqu'à Tom Joad (The Ghost of Tom Joad, en 1995), vous y trouvez toutes ces chansons sur la frontière que j'ai écrites à cette époque-là, si vous remontez jusqu'à Devils & Dust (l'album de 2005), Silver Palomino, Black Cowboys et Matamoros Banks. Donc, j'écris sur cette géographie depuis un bon moment, et ce disque spécifique m'a permis de puiser dans ce qui est, à mes yeux, les influences musicales de l'Ouest, en même temps que dans ces histoires de Westerns. Donc, je me suis dit, "A quoi ressemble l'Ouest moderne ?". C'est Hollywood, c'est Los Angeles. J'y ai puisé là quelques personnages intéressants sur lesquels écrire.

Jusqu'à aujourd'hui, je pense que c'est au-delà de la mythologie, les gens voient l'Ouest, du style, "Je vais dans l'Ouest et je vais me faire un nom". Même vous, même vos parents, comme vous le dépeignez dans Springsteen On Broadway. C'est toujours la terre dorée.

C'était le cas pour mes parents. C'était mon père (Douglas Springsteen) qui était la motivation, mais il allait quitter Freehold et il ne pensait pas à Pittsburgh ou à la Floride, il voulait aller en Californie. Que savait-il de la Californie ? Rien ! A vrai dire, j'avais une petite amie qui avait déjà été à San Fransisco, et ils lui ont demandé des conseils sur l'endroit où aller.

Il ne connaissait donc absolument rien sur la Californie ou l'Ouest, mis à part que c’était l'endroit où il voulait commencer sa nouvelle vie. Et il a pris avec lui ma mère (Adèle Springsteen) et ma sœur (Pam Springsteen), et c'est là où ils sont allés, c'est ce qu'ils ont fait. Vous savez, ils étaient comme ces Okies (6). Ils ont dépensé 3.000 $, tout l'argent qu'ils avaient économisé. Ils ont passé deux nuits dans leur voiture et une nuit dans un motel, sur le trajet. Ils ont, tout simplement, tout reconstruit de A à Z en arrivant là-bas. La première fois où je leur ai rendu visite, ils habitaient dans un tout petit appartement à San Mateo et j'avais 20 ou 21 ans. L'idée, qui reste encore valable pour une large partie du pays, lorsque les gens pensent à créer quelque chose de nouveau, ou a devenir quelque chose de nouveau, et qui a l'attrait d'un lieu où recommencer sa vie, ou revenir sur ses pas, ou effacer ses péchés, cette idée continue de se trouver à l'Ouest.

Vous les avez suivi, en quelque sorte. Dans votre film, vous mentionnez une fille sur la Côte Est qui vous brise le cœur, et que faites-vous ? "Je suis parti dans l'Ouest".

Oui (rires) ! Même chose ! Je me suis dit, "Ok, faut que je me tire d'ici. je dois partir aussi loin que possible sur ce continent américain !"

Et voilà (rires), c'était le deal pour moi ! Même chose. Et ce n'était pas forcément facile d'y aller à l'époque, parce que personne n'avait d'argent pour un avion ou un train, donc à chaque fois que nous voulions aller en Californie, c'était souvent avec un vieil ami à moi, Tinker (Carl West), nous montions dans son vieux break cabossé et nous prenions la route. J'étais chanceux d'y avoir un avant-poste avec mes parents. Et j'y allais pour faire la même chose qu'eux, je n'avais pas prévu de revenir. Je pensais que j'allais arriver et commencer une nouvelle carrière quelque part autour de San Fransisco et je pensais que j'y arriverais avec quelques difficultés, peut-être, mais je pensais que j'en étais capable. Mais au final, je n'ai pas réussi.

Wow. A mes yeux, le film a des éléments de The Searchers, un petit Sunset Boulevard, avec la face plus sombre de Hollywood.

Il y a dedans de toutes petites citations de tout ce que j'aime. Des citations visuelles.

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A mes yeux, et je vous ai entendu le dire - j'ai visionné sur YouTube la session de Questions/Réponses que vous avez faite au Festival International du Film De Toronto - il s'agit là d'une lettre d'amour adressée à Patti (Scalfia).

Exactement...

De quelle manière Patti vous a aidé au cours de ce voyage, non pas votre voyage physique vers l'Ouest, mais votre voyage vers un endroit meilleur. Pensez-vous que c'est une bonne chose et que vous atténuez les stigmates d'autres personnes qui ont besoin d'un petit coup de pouce quand ils entrent en thérapie ? Dans le spectacle et le livre (Born To Run), vous disiez que vous aviez grandi dans un foyer où, s'il y avait eu cet exécutoire, les choses auraient été différentes.

Le foyer aurait été infiniment différent. Chacun a besoin de toute l'aide qu'il peut obtenir, c'est ce qu'il faut retenir. Vous savez, j'y suis venu relativement tard dans ma vie. J'avais la trentaine et c'était et c'est toujours très précieux pour moi, c'est quelque chose... C'est une force très positive qui m'a permis de faire le tri dans ma vie et de me guider vers un lieu où il est possible d'aimer quelqu'un et de recevoir cet amour, et Patti a tenu une part vraiment, vraiment énorme pour faire en sorte que tout ça fasse partie de ma vie, alors que j'y avais résisté jusque là et que j'ai échoué à en être capable plus tôt. Vous savez, Patti a été une femme très forte et très puissante, elle m'a soutenue, elle a été très aimante et je suis arrivé là où je suis, là où avant, je m'enfermais dans une sorte de trou noir. Il m'a fallu du temps pour que j'arrive à me sortir de ce trou et il m'a fallu beaucoup d'aide de toutes sortes. Donc, j'en suis vraiment reconnaissant, et le film est en partie un remerciement à ma merveilleuse femme.

Pensez-vous, peut-être, qu'il y aura un bénéfice d'en parler ? Si Bruce Springsteen a besoin d'aide, alors, je peux aussi demander ?

Je ne sais pas. C'est quelque chose que j'ai commencé à aborder car c'était une partie importante de ma vie. Vous faites ça depuis 30 ans et l'influence sur vous est tellement grande, que c'est un sujet qui arrive dans la conversation, à un moment donné. Mais chacun doit trouver son propre chemin. Mais si j'avais grandi au sein d'un foyer où cette aide aurait pu faire partie des ressources disponibles, la vie aurait été bien différente. Mais, qui sait, au final vous ne savez pas d'où vient le combustible qui allume ce feu. Je n'ai pas de regrets, mais la vie aurait été plus facile pour mes parents et pour mon père s'il avait eu recours à un peu d'aide.

Comme il est dit dans la session de Questions/Réponses à Toronto, et ça a du sens pour moi, ce film fait presque partie d'une trilogie où vous explorez votre art, et les histoires que vous racontez. La trilogie se composant du film, du livre et du spectacle. Est-ce que ça a du sens pour vous ?

Probablement qu'arriver à l'âge de 70 ans est une explication. Mais aussi, se trouver à un certain stade de sa vie et de sa carrière où vous vous sentez prêt à résumer le voyage que vous entreprenez depuis un long moment maintenant. Tout est arrivé par accident. Le livre est arrivé après avoir joué pendant le Super Bowl (en 2009), où j'ai écrit un petit essai sur ce show, que nous avons mis en ligne, et quelque semaines plus tard je commençais à écrire ce qui est devenu ce livre. Et puis, à partir du livre, vraiment, le spectacle est né.

Le président Obama m'avait dit, à deux semaines de la fin de son mandat, "Tu n'as jamais joué à Washington, j'aimerais que tu viennes jouer à la Maison-Blanche". Donc, au cours de ces dernières semaines, Patti m'a dit, "Oui, tu devrais y aller et le faire". "Je ne sais pas, je ne veux pas amener tout le groupe, c'est trop d'organisation, peut-être que je pourrais y aller seul et jouer quelques chansons en acoustique". Puis, je me suis dit que je pourrais peut-être présenter certaines chansons avec ce que j'avais écrit dans le livre, et j'ai passé deux après-midi dans mon studio, pour finir par avoir... les 90 minutes de ce qui allait devenir le spectacle de Broadway. J'y suis allé, j'avais les textes, j'avais les chansons, et à la fin du spectacle, le président est monté sur scène, et a dit, "Je sais que tu as fait ça juste pour nous, mais tu devrais en faire un spectacle" (Rires).

Je m'excuse, mais le Président Obama vous a dit ça ?

Oui.

Oh, bon sang !

Donc, sur le chemin du retour, Jon (Landau, le manager), Patti et moi-même, nous nous sommes tous les trois dit que c'était quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant. L'alchimie était nouvelle. Nous avons donc pensé à en faire un spectacle, mais nous avions besoin d'un public restreint. J'avais uniquement joué devant 250 personnes dans la East Room de la Maison-Blanche. Donc, nous avons cherché un tout petit endroit. Et où se trouvent ces magnifiques petites salles ? Elles se trouvent à Broadway. Nous avons fini par chercher une salle, et nous avons trouvé le Walker Kerr, et Jordan Roth (propriétaire du Kerr). Et je me suis retrouvé à écrire une heure supplémentaire de texte. C'est arrivé très vite, et par accident. Et le film est arrivé quasiment de la même façon, dans le sens où je me suis dit, si je ne pars pas en tournée, peut-être pourrais-je faire un film où je joue cette musique avec un grand orchestre quelque part - dans une salle ou autour de chez moi.

Nous avons fini par le faire dans ma ferme (sur la propriété de Springsteen à Colts Neck), et une fois la musique enregistrée, nous nous sommes dit, "Ok, nous allons faire les interviews classiques : comment c'était de jouer ces morceaux ? Qu'est-ce que vous êtes un mec bien ! Comme c'était bien de travailler avec moi !" Et tous ces trucs habituels (rires). Mais avant, j'ai visionné quelques séquences, et la musique est nouvelle. Comment vais-je pouvoir attirer le public vers ce que je fais ? Et bien, je pense que j'ai besoin d'une exposition qui me permette de présenter chaque chanson. Donc, je m'y suis mis un soir, et en deux heures, j'avais écrit le script des séquences parlées du reste du film.

Oh, wow. Si vite ?

Oui. Tout était là, attendant de sortir. C'était sur l'album, ce n'était juste pas verbalisé. Puis, nous avons commencé à les utiliser comme voix-off, et puis nous avons eu besoin d'images pour accompagner cette voix-off. Thom (Zimny, le co-réalisateur de Western Stars) avait quelques images en stock. Nous en avions tourné un peu dans le parc national Joshua Tree avec Danny Clinch. Elles s'intégraient parfaitement bien. Puis, nous sommes allés filmer nos propres images pendant deux jours et en revenant, j'ai ajouté la musique, et tout à coup, nous avions quelque chose qui est devenu le film actuel. Mais c'est quelque chose qui est arrivé très organiquement, il n'y avait rien de préparé au départ. Donc, ces trois œuvres ont, en quelque sorte, résumé mon travail et ma vie jusqu'à ce jour, toutes ces choses sont arrivées presque par accident. Évidemment, le timing était bon, et j'étais prêt et impatient de le faire. Mais je suis vraiment fier de ces trois choses. Je pense que ce sont les trois meilleurs choses que j'ai faites.

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J'ai entendu dire que les chansons de Western Stars étaient prêtes depuis un bon moment. Est-ce que ces chansons constituaient la première partie de la trilogie ?
                  
Oui, les chansons de Western Stars sont là depuis 2012, date à laquelle j'ai commencé à les écrire. Je les ai écrites, pour la plupart, en tournée. Je les ai enregistré tranquillement, mais je les ai enregistré en même temps qu'un ensemble de 40 autres chansons. Il y avait donc beaucoup de matériel disponible et je ne savais pas où se trouvait l'album, ni même ce qu'était cet album. Il m'a fallu pas mal de temps pour l'envisager et piocher 12 ou 13 chansons, que nous avons fini par utiliser. C'est comme si vous aviez une sculpture à faire avec un immense bloc de pierre devant vous. Il m'a fallu du temps pour le ciseler et arriver à ces 13 titres sur le disque. J'avais donc cette musique depuis un bon moment, et puis l'album Wrecking Ball est arrivé, et cet album-là semblait correspondre à son époque. Nous avons donc enregistré Wrecking Ball, et il est évident que lorsque vous faites un album tel que celui-là, vous finissez par partir en tournée pendant un an et demi. C'est donc deux années qui passent à grande vitesse. Chaque projet de disque possède son cycle de deux ans, la plupart du temps.

Mais j'ai toujours eu cette musique, et j'y revenais constamment. J'avais l'impression que c'était un disque vraiment ponctuel, je ne savais pas qui pourrait s'y intéresser, mais finalement, j'ai travaillé dessus. Puis, Ron Aniello a débarqué, et il a travaillé avec moi sur le disque. La première fois que nous avons travaillé ensemble avec Ron Aniello, véritablement, l'idée était de terminer Western Stars, il y a très longtemps maintenant ! Nous avons travaillé sur ce disque jusqu'à ce qu'il devienne quelque chose de vraiment unique et différent de ce que j'avais fait par le passé. L'orchestre et le son du disque et ses influences Western et l'arrangement musical lui ont donné une certaine originalité que j'aime beaucoup.      

Est-ce que vous vous reconnaissiez, lorsque vous étiez en train d'écrire ces chansons, et que vous entriez dans des sphères assez personnelles avec Western Stars en 2012 ?

C'est ce que nous faisons tout le temps. Je n'y fais plus vraiment attention, j'essaye simplement d'écrire la meilleure chanson possible, et peu importe ce que ça implique, c'est là où je vais. Donc, je n'y pense pas vraiment, j'essaye juste de présenter la meilleure musique possible et peu importe où elle est, peu importe où je peux la trouver, c'est là où je vais.

Qu'est-ce que ça vous a fait de travailler avec David Sancious (pour Western Stars), je crois que vous avez fait quelques enregistrements avec lui ?

Oui. Il a travaillé sur mes disques au cours des années. C'est toujours un plaisir de travailler avec lui, c'est un des meilleurs musiciens que j'ai connu de toute ma carrière. C'est un musicien incroyable, guitariste, pianiste, et toujours un grand, grand ami. C'est donc toujours un plaisir d'avoir Davey sur mes disques.

La chanson Hitch Hiking débute l'album. Je crois avoir fait de l'auto-stop une à deux fois dans les années 80, par erreur.

C'était déjà bien tard à cette époque-là. Dans les années 80, c'était déjà considéré comme trop dangereux, j'imagine.

J'allais vous poser la question. Les gens ne font plus d'auto-stop ?

C'est terminé, comme une forme d'art.

Est-ce que les gens font de l'auto-stop dans d'autres parties du pays, ou du monde ? On n'en fait plus non plus dans le New Jersey.

Voir un auto-stoppeur quelque part aujourd'hui, même dans l'Ouest, c'est assez rare. Mais dans les années 60 et 70, c'était commun. C'était mon seul moyen de transport jusqu'à ce que fasse Born To Run. Pendant mes deux premiers albums, je continuais à faire de l'auto-stop pour parcourir le New Jersey de long en large.

C'est géant. J'écoute cette chanson et je me dis que ça devait être une source d'expériences et d'histoires pour vous, que vous avez peut-être retranscrites au cours de votre carrière ? Vous êtes dans cette voiture, vous parlez...

Il faut que vous compreniez, je faisais de l'auto-stop... tout le temps. Chaque. Jour. Chaque jour, j'allais de Freehold à Manasquan, 35 kilomètres, et 35 kilomètres retour, et vous montez dans 3, 4, 5 voitures, puis 3, 4, 5 voitures au retour, jusqu'à ce que tu trouves un chauffeur qui va là où tu vas. J'ai fait ça de l'age de 15 ans jusqu'à 24 ans. J'en ai fait pendant presque 10 ans, vraiment sans discontinuer. C'était donc une chanson facile à écrire (rires).

Je crois que ma chanson favorite, et je l'adore, c'est There Goes My Miracle. Je pense aux Walker Brothers sur ce titre, même la partie de batterie, c'est un truc de batteur funky.

C'est quelque chose que Ron a fait.

C'est magnifique. Pour moi, c'est le sommet orchestral du disque.

Oui. Ron avait cette petite boucle de batterie. Oui, je dirais que c'est les Walker Brothers, les Righteous Brothers, comme une sorte de classique, un titre orchestral de pop music de la Californie du Sud. C'est ce qu'il y a de plus accessible sur le disque, je suppose, c'est une chanson qui, dans un autre jour, aurait pu nous permettre de tenter le coup d'être célibataire (rires).

Combien de jours a duré l'enregistrement des chansons dans la ferme de votre propriété à Colts Neck (pour le film) ?

L’enregistrement d'origine a pris quatre jours. Il y a eu deux jours pour filmer, un jour de répétitions, qui a été quelque peu filmé, et un jour uniquement de répétitions. Puis, j'ai fait une session instrumentale en studio à New York, avec le groupe, avant de redescendre dans le New Jersey. Le projet, dans son ensemble, a pris quatre jours.

Parlez-moi de Rob Mathes (le chef d'orchestre de Western Stars) ? Vous lui avez donné un rôle important ?

J'ai besoin d'aide lorsqu'il s'agit d’orchestrer quelque chose. Quand je le fais moi-même, je le fais de la même façon que lorsque j'enregistre seul. Je fais tout très rapidement. Je vais chanter une chanson par-dessus une piste, ou une boucle - moi et ma guitare acoustique uniquement. Toute la musique qui se trouve sur Western Stars a commencé de cette façon : moi, une guitare acoustique, et une petite boucle de batterie. Ensuite, je me démène pour y ajouter tous les instruments, pendant deux heures environ. Puis, j'écoute pour voir s'il y a matière à faire une chanson valable sur laquelle travailler. Si c'est le cas, je continue encore à travailler dessus. Puis, quand Ron Aniello arrive, il s'en occupe énormément, en transformant les pistes brutes que j'ai enregistrées en résultat qui soit bien meilleur à l'écoute. Mais quand j'arrive avec toutes les parties de cordes, les lignes, et les différentes orchestrations, si une orchestre doit les enregistrer, les partitions doivent être écrites et annotées, et c'est donc Rob Mathes qui a fait ça et il y a ajouté sa créativité, également. Il a donc été d'une grande, grande valeur. Rob a mis sur pied ce grand orchestre et ce groupe avec lequel je joue dans le film. Je suis allé à New York pour jouer avec une section rythmique, et ils savaient déjà tout bien mieux que moi - pour certains, c'était la première fois que je les rencontrais. Donc, je suis arrivé, j'ai dit bonjour, j'ai joué l'album du début à la fin, et j'ai essayé de garder le rythme avec ce groupe, qui était si bon. Et Bob en a été le chef d'orchestre, d'une si belle manière, qu'ils savaient déjà tout. Nous avons ensuite passé ensemble les quatre jours suivants et vous avez le résultat (rires). Rob a donc été un formidable collaborateur.

Vous avez une grande foi en son travail et il sonne...

Il est très bon, Rob Mathes est une importante arme secrète. Il travaille pour beaucoup de musiciens, il est incroyable.

Il me semble qu'il a produit des albums pour Panic at the Disco. Marc Muller, un type du coin, qui fait des prestations de haut niveau, a une grande présence sur le disque, sa guitare steel.

Il est incroyable. Un excellent musicien, une excellente personne, de très belles choses à la guitare steel sur ce projet, si évocateur. Un magnifique musicien et une magnifique personne.

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Parlez-moi de votre rôle de co-réalisateur avec M. Zimny ? Est-ce que, parfois, au milieu d'une prise... Je suis curieux de savoir comment vous fonctionnez ensemble ?

Le film est une collaboration entre lui et moi, tout simplement. Avant d'avoir enregistré la performance, d'avoir conçu la voix-off et tous ces intermèdes qui en font bien plus qu'un simple film, nous avions travaillé ensemble sur toutes ces choses, et Thom a été assez généreux pour dire, "Hey, nous avons collaboré tous les deux, tu as co-réalisé le film", et c'est comme ça que c'est arrivé. Mais je ne suis pas derrière la caméra (rires).

Une chance de jouer ces chansons avec le E Street Band ? Avez-vous entendu la version de Tucson Train de Steven Van Zandt ?

Oui, il me l'a joué il y a quelques jours, la semaine dernière, il me semble.

Belle version.

Grande version. C'était vraiment excellent.

Est-ce une sorte de graine plantée qui nous dit que, peut-être, nous pourrions entendre certaines de ces chansons...

Je ne sais pas. Quelque chose pourrait germer. Mais je n'ai pas prévu de faire figurer ces chansons au répertoire de la prochaine tournée du E Street Band. C'est vraiment une expérience propre en soi, comme certains de mes autres albums tendent parfois à l'être. Je ne le saurais pas tant que je n'y serais pas.

L'autre jour, je me suis rendu à Freehold, au sein de l'Association Historique du Comté de Monmouth, et ils ont une nouvelle exposition, Springsteen: His Hometown, dans laquelle les Springsteen Archives (7) sont impliquées. Je voulais vous demander quelle était votre vision, quels étaient vos espoirs pour la suite avec le Centre ? Les Archives se trouvent à l'Université de Monmouth, et ce sera une véritable exposition pour la ville de Freehold, qui attirera des gens du monde entier...

C'est une très bonne chose.

... qui viendront à Freehold. Quelle est votre vision de ces archives et de quelle façon elles impliquent la communauté locale et le reste du monde, aussi, je suppose ?

Oui, je ne sais pas trop. Je trouve que c'est une bonne chose d'avoir un lieu où est entreposé mon travail, et où le public qui s'y intéresse peut venir et y avoir accès. Mais sans savoir ce que ce lieu deviendra, j'espère que ce sera un lieu de création pour les jeunes artistes, et pour le public en général qui s'intéresse à ma musique ou à la musique américaine, de quelque manière que ce soit. J'attends avec impatience d'y être très impliqué, et je crois qu'il s'agira d'une chose positive pour la communauté de la Côte.

Envisagez-vous d'aller voir l'exposition ?

Oui, je vais aller la voir (Springsteen a assisté à l'inauguration le 28 septembre). Je n'ai strictement aucune idée de ce qui a été fait, je suis donc curieux d'y aller.

C'est incroyable. Il y a un Springsteen recensé au cours de la Guerre de Sécession, il y a un Springsteen pendant la Guerre d'Indépendance, c'est géant !

Exact ! C'est amusant, on m'a envoyé un arbre généalogique il y a quelques années, et j'ai découvert qu'il y avait eu un Springsteen au cours de ces deux conflits. Je suis curieux de voir ce qu'ils ont exhumé.

Ils ont une guitare qui, parait-il, a été jouée dans le bataillon auquel appartenait votre ancêtre pendant la Guerre de Sécession.      

Vraiment... J'y vais !          

Ce qui m'a attiré l’œil - et je connaissais cet homme car j'ai écrit un article sur la jeune fille dont vous aviez signé l'album de promotion - j'ai vu une photo de M. (Robert) Hussey. Je me suis dit que c'était vraiment sympa qu'il établisse un lien avec vous.

Oui, c'est ce qu'il a fait. C'était en cours d'Anglais, et c'était un cours sur l'écriture, et je crois qu'à cette époque-là, il a reconnu quelque chose dans mes écrits. Vraiment, c'est tout ce que vous recherchez quand vous êtes jeune - quelqu'un qui reconnait l'étincelle en vous, quelque part. J'ai le souvenir de cet homme comme d'un bon professeur, empathique, je l'aimais beaucoup.

Vous semblez trainer un peu plus souvent en ville (à Freehold) ces derniers temps ?

Je ne sais pas. Peut-être qu'écrire sur mon passé et toutes ces choses m'ont ramené ici un peu plus souvent, et peut-être aussi que nous sommes plus souvent qu'avant à la maison. Mais je viens ici assez régulièrement, que ce soit au restaurant le Federici's ou le Jersey Freeze. Je viens souvent.

Mes amis me tueront si je ne vous demandais pas s'il y a une tournée prévue avec le E Street Band ?

Oui, évidemment. C'est très basique la façon dont ça fonctionne. J'ai de la musique qui est, j'espère, de qualité. Mais je ne le sais pas tant que je ne l'entends pas me revenir (rires). Donc, je dois rassembler le groupe en studio, ce que nous ferons avant la fin de l'année, avec un peu de chance. Et puis, vous commencez à jouer un peu de musique et nous voyons ce qu'il en sort. Et quand nous avons quelque chose, nous cherchons des lieux où jouer cette musique. Et c'est ainsi que nous mettons sur pied une tournée du E Street Band (rires).

Marché conclus !

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NOTES

(1) The Duke était le surnom donné à l'acteur américain John Wayne (1907-1979)

(2) The Searchers (La Prisonnière du désert) est film américain de 1956 de John Ford, avec John Wayne, Jeffrey Hunter et Natalie Wood.

(3) That’ll Be the Day est une chanson écrite par Buddy Holly et Jerry Allison en 1956, dont la version la plus connue est interprétée par les Crickets en 1957. Le titre de la chanson, That'll Be The Day, tient son origine d'une expression prononcée par le personne de John Wayne, dans le film The Searchers (La Prisonnière du désert, de John Ford).

(4) She Wore a Yellow Ribbon (La Charge Héroïque) est un western américain de 1949, réalisé par John Ford, avec John Wayne.

(5) Ward Bond (1903-1960) était un acteur américain, spécialisé dans les seconds rôles.

(6) Le terme Okie désigne un habitant de l'Oklahoma. Dans les années 1930, sur la côte ouest des États-Unis, et particulièrement en Californie, le terme désigne de manière péjorative les ouvriers agricoles itinérants pauvres (Blancs ou métis) et leur famille, forcés d'abandonner leur ferme pendant la Grande Dépression.

(7) Les Archives de Bruce Springsteen et le Centre pour la Musique Américaine de l'Université de Monmouth (New Jersey) est le dépositaire officiel des écrits, des photos, des journaux, et objets de Bruce Springsteen. Le Centre vient compléter la collection qui avait ouvert dès 2011, dans le but de préserver et promouvoir l'héritage du chanteur, et son rôle au sein de la musique américaine, tout en honorant d'autres icônes, telles que Woody Guthrie, Robert Johnson, Hank Williams, ou Frank Sinatra.

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